Les deux premiers jours du procès Elf
17 & 18 mars 2003


Lors de la première journée d’audience à Paris, plus de 50 témoins ont été appelés à se présenter au tribunal, ceci pour les 4 mois prévus du procès. Etaient présent plus de 80 magistrats, pour défendre les 37 prévenus (Sirven, Tarallo, Le Floch Prigent, Guelfi, Bidermann… dont 4 fuyards : Léthier, Auchi, Abid, Raillard) dans la trop petite 11ème chambre correctionnelle de Paris, ne laissant que 3 places pour le public, pourtant très concerné par cette affaire d’Etat. Tout du moins, le droit des citoyens français à assister aux audiences semble avoir été volontairement négligé. En effet juste à côté, un grand espace est utilisé pour juger des crimes et délits de plus faible envergure. Mais passons ! Les habituelles demandes de report de procès, sollicitées par les avocats des prévenus n’ont pas aboutit. Voilà l’essentiel.

Le deuxième jour, le président Desplan a introduit la séance par un descriptif de la société Elf, puis a appelé à la barre les anciens cadres dirigeants mis en examen. Loic Le Floch Prigent, ex patron d’Elf de 1989 à 1993, incarcéré à Fresnes depuis le 31 janvier 2003, s’est prononcé à de nombreuses reprises, repoussant d’abord le constat de mauvaise gestion, tiré d’un rapport de la Cour des Comptes, et présenté par le président Desplan. Elf était « mal géré pour la Cour des Comptes, pas pour moi » répondit-il calmement. « J’ai institué un tableau de bord avec suivi budgétaire, tous les 20 du mois, ainsi que des comités » poursuivit-il sur un ton flegmatique. Un peu plus vivement, « il faut 7 ans pour passer de la diversification à ce que l’huile coule. Il y aurait aujourd’hui production dans les pays de l’Est si mes mesures avaient pu continuer ». Aurait-il s’agit de l’intérêt des populations du Caucase ? On en doute fort, vu l’envergure des soupçons pesant sur Elf : au bas mot, 1,5 milliards de francs détournés en commissions diverses ! Pour comparaison, le budget alloué par l’Etat français à la Santé en 2003 n’est pas plus important. Mais pour Loic Le Floch Prigent : « les responsables d’Elf ne sont pas proches de moi ». Allons donc voir du côté de Tarallo, « le Foccart du pétrole », selon les termes appropriés du président Desplan.

Tarallo est rentré à Elf en 1967, ce qui interpella le magistrat Desplan : « pourquoi n’avez vous pas pris votre retraite ? ». Tarallo : « Les responsables du groupe et les présidents africains (Bongo, Biya, Dos Santos, Sassou…) ont voulu que je reste ». Ce ne sont pas particulièrement des références de probité ! Un seul exemple : Sassou s’est rendu coupable de crimes contre l’humanité en 1998 au Congo-Brazzaville, pour qu’Elf puisse s’assurer 80/100 du pétrole congolais (Cf. http://matjules.free.fr). Les 3 « E » : Elf, l’Etat major et l’Elysée ont bien travaillé sur ce coup. Le pétrole fit marcher la planche à billets, mais tua également beaucoup. On l’oublie un peu trop facilement.
Le procès Elf s’attaque essentiellement au versant financier, les caisses noires, les comptes offshore… D’ailleurs on connaît, notamment grâce au travail de F.X.Verschave, président de l’association Survie, les mécanismes de détournement de l’argent des contribuables (Cf. « L’Aide Publique au Développement », F.X.Verschave & A.S.Boisgallais, 1994, Ed Syros). Malgré cela, la Françafrique maintient le flou, tel l’avocat genevois de Tarallo qui confie en coulisse : « la France n’a rien perdu. Elle a tout récupéré. Tarallo vit à Genève. La Suisse s’entend avec la France. C’est affaire de justice européenne ». Allez comprendre !

Photo : matjules.

Le moins que l’on puisse remarquer, c’est que Tarallo souhaiterait que les médias et la justice le laissent tranquille. Il faut dire que la lumière n’est jamais bonne quand on possède une villa de 90 millions en Corse.

Dans ce petit monde, on trouve également D.Léandri, fidèle de C.Pasqua (dans la haute police), pas plus disposé à se laisser faire. Au sortir du tribunal, son avocat est limite agressif envers le premier photographe venu. Intimidations ?

Photo : matjules.

Le brigadier chef, recruteur de mercenaires en Afrique (Cf. page 377, « Noir Silence », F.X.Verschave, mai 2000, Ed. Les Arènes) a des moyens de pression dissuasifs. Mieux vaut rester prudent face à cet obscur personnage!

Mais le peu de clarté vient vraiment quand Sirven est interrogé par le président Desplan. Au sein de Elf « mon titre de Directeur Général ne voulait rien dire » ! C’est juste « une erreur de casting » selon lui. Il précise : « j’étais membre du comité des 30 qui n’avait pas de pouvoir exécutif ». Le Floch confirme. Et Sirven d’ajouter « n°2 d’Elf, une construction montée par les médias et les juges ». Ce n’est pas non plus trop la version de « la Putain de la République », qui pour se protéger, a lâché quelques informations. On sait notamment que Sirven a fait beaucoup de lobbying pour que Le Floch Prigent soit placé à la tête de Elf, ce qui est rappelé justement par le tribunal, sans démentis des principaux intéressés. Qui avait les manettes ? Les suites du procès le diront peut-être.

A.Guelfi est pas loin derrière, intermédiaire corse on ne peut plus fortuné.

Photo : matjules.

A son image, la maison Corsafrique a crée quelques milliardaires, au dépend des foules anonymes, principalement africaines. Simple exemple, selon le journaliste N.Beau, très bien informé, l’énorme dette camerounaise s’explique pour une petite partie, par le détournement vers les Iles Vierges du tiers d’un prêt de 45 millions de dollars, gagé sur le pétrole camerounais, avec une commission pour A.Guelfi (in Le Canard Enchaîné du 02/06/1999). Ce pillage aggrave la misère en Afrique, quand il n’en est pas la cause. Après, les conflits internes sont bien pathétiques, au regard des effets produits, si ce n’est qu’ils permettent de faire sortir les informations. Ainsi, la partie civile attaque : « d’après des propos de Mr Mallet (employé par Le Floch), Sirven lui aurait dit : "on est là pour nous en mettre plein les poches" ». Mr Mallet lui-même de tempérer : « c’était un mot pour rire » de Sirven. Cependant, Sirven d’ajouter « j’ai un différend avec Mr Mallet. […] Mr Mallet a fait courir à Paris que j’étais un agent du KGB ».
Le Floch de reprendre : « le différend portait sur la fin du communisme en Russie. Selon Sirven, Mallet n’avait plus de connexion. […] Et un rapport de la Stasi sur Mr Mallet est pas très élogieux. Sirven voulait diffuser l’info avec le directeur de la DST ». Mr Mallet sur la défensive : « on me targue de faire partie du KGB et de la Stasi ». Le président Desplan intervient : « Mr Mallet est accusé de rien dans cette affaire. Il n’est que témoin ». Ce conflit n’est pas sans intérêt. Mr Mallet, interrogé il y a quelques années par la juge Eva Joly, sur le rachat en Allemagne de la raffinerie Leuna et des stations Minol par Elf, avait reconnu que la société avait payé cet ensemble pétrolier « au moins trois fois trop cher » (Cf. page 304, « Noir Silence », F.X.Verschave, mai 2000, Ed Les Arènes). Les commissions étaient allées bon train (256 millions de francs, pas moins !) avec la CDU d’H.Kohl et une société d’A.Guelfi domiciliée au Liechtenstein, havre de paix européen pour tous ceux qui volent les États, les contribuables, les collectivités et qui trafiquent avec les armes, la drogue, les êtres humains…

Autre témoin au bénéfice de la partie civile, G.Darmois, ancien directeur de cabinet de Le Floch de 1991 à 1994, qui travaille à Elf actuellement. Selon lui « Sirven avait une image brouillée, des pouvoirs non écrits. […] Il y avait des bruits selon lesquels Sirven était n°2 de l’entreprise ». Et Sirven de répondre « je ne rentrais pas dans le bureau du président sans prévenir. […] Les plus grands, Tarallo… voyaient Le Floch 2, 3 fois par jour. Moi, je pouvais être 1 semaine sans le voir ». Assez faible comme défense tout de même!
Le tribunal interrogea ensuite le témoin, sur d’éventuels détournements. G.Darmois poursuivit donc, prudent : « je ne nie pas qu’il devait y avoir de petites subventions qui devaient être données là et qui étaient données ailleurs ». Mais il ajouta également : « le système était très proche de la République et selon Le Floch, il ne fallait pas y toucher ». A en lire les nombreux travaux de F.X.Verschave : depuis Charles De Gaulle, Elf se confond avec la République. Nouvelle confirmation donc, en ce début de procès!


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